Comptes rendus de la presse
Partager

COMPTES RENDUS PARUS DANS LA PRESSE :

LE MONDE : Quand juifs et musulmans arrivent à se parler

ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU 18.05.04

C’EST AU MOMENT où tout semble perdu que le dialogue prend toute sa valeur. Plus d’un millier de personnes ont fait leur cette vérité, jeudi 13 mai à Paris, lors d’un colloque qui avait pour ambition d’analyser l ‘ » histoire partagée  » des juifs et des musulmans et de  » construire un dialogue  » ( Le Monde du 13 mai).  » Alors, qu’est-ce qu’on fait ? Israéliens et Palestiniens sont-ils condamnés à se détruire jusqu’au dernier jour ?, a résumé Esther Benbassa, historienne du judaïsme, coorganisatrice, avec Jean-Christophe Attias, de cette manifestation. Comment sortir de cette situation où il est devenu impossible en tant que juive de parler devant des propalestiniens comme de sortir du discours convenu sur Israël devant des publics juifs ?  » Que le grand amphithéâtre de la Sorbonne puis la grande salle de l’Institut du monde arabe n’aient pas été assez vastes pour accueillir tous ceux qui désiraient prendre le risque du dialogue dit à la fois la peur qui monte de tous côtés et le formidable besoin de retrouvailles. Que les débats de haute tenue, réunissant des personnalités qui ne se parlaient plus, aient pu se déployer avec le minimum de tension montre sans doute la nécessité de multiplier ce genre de forums dont les participants mettent en commun leurs espoirs autant que leur désarroi.
Peut-on puiser dans l’histoire les moyens de surmonter les conflits du présent ? La question, à la base du projet de colloque soutenu par Le Monde des religions, a reçu une réponse nuancée. Certes, la longue existence des juifs au sein même du monde musulman n’a rien d’un long fleuve tranquille, a rappelé Jean-Christophe Attias, appelant à ne céder  » ni à la fascination d’un âge d’or ni à l’invocation complaisante d’un Moyen Age sanguinaire « . Le statut de  » dhimmis  » qui leur était imposé mêlait à l’idée de protection celle d’une infériorité indépassable. Mais, a nuancé l’historien Michel Abitbol, son application a varié selon l’évolution des rapports de forces entre religieux et pouvoir politique.
Globalement, a insisté l’historien Pierre Lory,  » les communautés juives ont mieux vécu dans l’empire arabe du Moyen Age que dans les pays chrétiens « . En terre d’islam, il n’y avait pas alors d’  » équivalent à ce qu’est devenu l’antisémitisme en Occident « . Même si elle n’apporte pas de réponse directe aux conflits d’aujourd’hui, la connaissance de l’histoire permet d’en relativiser certaines sources. A été ainsi analysée la manière dont les deux monothéismes, juif et musulman, s’étaient fécondés et ont joué un rôle fondamental dans la transmission à l’Occident chrétien de la philosophie rationaliste grecque. La connaissance des rapports de forces tribaux entre musulmans et juifs permet de relativiser la signification des  » nombreuses sourates agressives  » du Coran. Ainsi, celle qui enjoint de ne pas prendre  » des juifs ou des chrétiens pour amis « , dans laquelle, a indiqué Pierre Lory, le mot arabe traduit par  » amis  » désigne en fait des alliés politiques.
Mais cette cohabitation appartient au passé, depuis que la décolonisation, le sionisme et le panarabisme ont éloigné juifs et Arabes, notamment au Maghreb. La vie commune a cédé la place à l’affrontement entre Etats-nations, qui trouve désormais des échos dans les pays du Nord.
Là, a analysé le politologue Alain Dieckhoff, l’émigration des juifs et des Arabes du Maghreb a fait réapparaître les contacts disparus au Sud. Subsiste ainsi en France une profonde nostalgie, comme celle qu’a évoquée la sociologue Leïla Babes avec le souvenir de sa mère, chargée, en Algérie, par ses voisins juifs, d’éteindre la lumière le jour de shabbat.  »

Le drame, c’est qu’en perdant leurs minorités les musulmans ont perdu leur expérience du pluralisme « , a-t-elle déploré en appelant à sortir du dialogue entre deux cléricalismes pour repenser, de chaque côté, le statut de l’autre.

ISRAËL  » IRRÉVERSIBLE « 

Si ce colloque a été utile, il l’aura été précisément en déverrouillant mutuellement la parole. Tandis que Patrick Klugman, membre du CRIF et de SOS-Racisme, s’est dit  » sioniste et pro-palestinien  » et a demandé à chacun  » de se faire l’avocat de l’autre chez les siens « , Farouk Mardam Bey, membre du comité de rédaction de la Revue d’études palestiniennes, a évoqué le  » caractère irréversible  » d’Israël, tout en exigeant que les juifs acceptent de dissocier antisionisme et antisémitisme.
Les débats ont aussi permis de dresser une longue liste de principes nécessaires à une avancée vers la paix au Proche-Orient, mais surtout dans la société française. Le rabbin Philippe Haddad a plaidé pour la réhabilitation de  » la nuance  » et mis en cause la tendance à  » voir chaque juif comme un sioniste et chaque musulman comme un islamiste « . L’écrivaine franco-libanaise Dominique Eddé a plaidé pour la reconnaissance par Israël de la Nakba (l’expulsion des Palestiniens lors de la création de l’Etat d’Israël), tandis qu’Elias Sambar, directeur de la Revue d’études palestiniennes, a appelé à  » sortir du lien de cause à effet entre la Shoah et la Nakba, deux événements qui ne sont pas comparables « .  » Que chacun balaie devant sa porte, a complété Dominique Vidal, rédacteur en chef adjoint du Monde diplomatique. Que le mouvement antiguerre condamne les attaques contre les porteurs de kippa, et que les défenseurs du gouvernement Sharon cessent de traiter d’antisémite quiconque critique ce gouvernement !  »
Ces belles et fortes paroles et le plaisir de pouvoir les échanger sereinement n’ont cependant pas masqué le profond désespoir ambiant à propos du Proche-Orient. Là-bas,  » les Arabes avalent des couleuvres chaque jour avec un sentiment d’impuissance, a estimé M. Sambar. Le jour où ça va sortir, ça va être terrible.  »  » Nous n’avons pas le droit d’être tranquilles, a confirmé Dominique Eddé. Ça peut aussi flamber dans les banlieues. Le massacre de la nuance, c’est le feu !  » Il aura fallu toute l’énergie volontariste d’Esther Benbassa, rappelant le nombre de conflits séculaires – comme la haine franco-allemande – finalement surmontés, pour que le colloque imagine des raisons d’espérer. Philippe Bernard

LIBERATION, n° 7156 :

ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU 18.05.04, SOCIÉTÉ, P.16

Juifs-musulmans: une table ronde pour arrondir les angles
Colloque parfois houleux, vendredi à Paris, sur le thème du « dialogue à reconstruire ».

par Catherine COROLLER

La rumeur annonçait le pire. Des extrémistes juifs et musulmans allaient perturber le colloque organisé vendredi par Esther Benbassa et Jean-Christophe Attias, directeurs d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Son thème, il est vrai, pouvait provoquer des débordements : « Juifs et musulmans : une histoire partagée un dialogue à construire ». Le risque était réel de voir des pro-israéliens et des propalestiniens se bastonner en direct. D’autant que les organisateurs avaient invité des personnalités aux opinions radicalement opposées sur la politique du gouvernement israélien. La dernière table ronde réunissait ainsi Pascal Boniface, directeur de l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), et auteur de Est-il permis de critiquer Israël ?, Patrick Klugman, membre du comité directeur du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France), Farouk Mardam-Bey, membre du comité de rédaction de la Revue d’études palestiniennes, Méir Waintrater, directeur de la rédaction de l’Arche, le mensuel du judaïsme français. Et pourtant. La discussion a eu lieu. Mieux, les intervenants se sont réjouis d’avoir eu l’occasion de débattre. « Je tire mon chapeau à Esther Benbassa et Jean-Christophe Attias, note ainsi Pascal Boniface. Ils ont réussi à mettre ensemble, ce qui ne se faisait plus depuis des années, des gens qui ne sont pas d’accord.
Et qui se sont parlé, au lieu de s’insulter. » « Avant, on ne se rencontrait plus, on ne se parlait plus, là on s’est écoutés.

On ne peut pas dire qu’on soit tombés d’accord, mais on s’est confrontés sans haine. » Farouk Mardam-Bey a pu se dire « antisioniste » et Patrick Klugman « sioniste », tous deux reconnaissant toutefois le droit à l’existence des deux Etats, israélien et palestinien. « J’ai été ému quand Farouk Mardam-Bey, le combattant de la cause palestinienne, a dit, avec les larmes aux yeux, que « maintenant on ne peut plus revenir en arrière, Israël est un fait accompli » », rappelle Patrick Klugman. Mais le même Patrick Klugman a dû entendre à son tour l’écrivaine franco-libanaise Dominique Eddé souligner l’importance pour les Palestiniens de voir Israël reconnaître la Nakhba lorsque, en 1948, des centaines de milliers d’Arabes ont été expulsés par l’Etat hébreu. Certes, Esther Benbassa a dû parfois ramener l’ordre. Demander à la salle de cesser de huer ou applaudir. Chaque fois, le calme est revenu. « C’est parce que le débat était de très bonne tenue, aucun des intervenants n’était très véhément, aucun n’a invectivé l’autre », explique Patrick Klugman. Mais Farouk Mardam-Bey a une autre explication : « Aujourd’hui, en France, tout le monde a le sentiment qu’il faut arrêter, que ça n’est plus possible de se chamailler comme ça. »

Imprimer cette page Envoyez à un ami