Le judaïsme, une religion de la transmission ? (Communication, 28 mai 2018)
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Le texte de la communication présentée par Jean-Christophe Attias au colloque « De génération en génération », Paris, 28 mai 2018.

 

« Le judaïsme, une religion de la transmission ? » La question est absurde, bien sûr. Et je n’entends pas y répondre. Y répondre supposerait de répondre préalablement à toute une série d’autres questions, fort générales et peut-être oiseuses. Qu’est-ce que le judaïsme ?  Qu’est-ce qu’une religion ? Le judaïsme est-il une religion ? Et si oui, est-il seulement cela ? Quelle religion, enfin, n’est pas une religion de la transmission ? En quoi la religion juive se distinguerait-elle des autres à cet égard ? Le concept de « transmission » lui-même n’est pas sans susciter maintes interrogations. Et ce n’est certainement pas une analyse sommaire des poncifs ordinaires du judaïsme contemporain qui permettra d’y voir plus clair. Imaginons en effet un Juif moyen que nous arrêterions au bas de chez lui, dans la rue, tôt le matin, quand il n’est pas encore très réveillé. Demandons-lui quel est le premier devoir d’un Juif, glissons même, dans la liste des options à cocher le mot « transmission », et précisons qu’il ne lui est permis de cocher qu’une seule case. Il y a fort à parier qu’il cochera « transmission ». Posons-lui alors une seconde question : « Quelle est, pour un Juif, la première et la principale chose à transmettre ? » Mettons « une mémoire » dans la liste, il ne peut toujours cocher qu’une seule case. Il y a fort à parier qu’il cochera « une mémoire ». Une mémoire de quoi ? L’histoire ne le dit pas. Je peux me tromper, bien sûr. Je n’ai arrêté aucun Juif au bas de chez lui ce matin. Et je ne suis pas sociologue. Mais quelque chose me suggère que mon Juif imaginaire mettra spontanément la « transmission » en tête et même la transmission d’un capital essentiellement symbolique dont il aura beaucoup de mal, d’ailleurs, à préciser la nature et le contenu. Par quoi il démontrera par l’exemple que la « transmission », telle que je l’entends, et au moins pour lui, n’a pas vraiment eu lieu.

Si notre Juif du matin avait grandi dans un monde un tant soit peu traditionnel, il se serait sans doute souvenu de ce qu’enseigne une antique tradition mishnique : « Cinq ans [est l’âge de l’étude de] la Bible [Mikra][1]. » Il saurait peut-être aussi qu’avant même que cet âge-là ne soit atteint, dès que l’enfant commence à parler, il est un verset biblique qu’il convient de lui apprendre sans tarder. Et que ce verset – Deutéronome 33, 4 – dit ceci : « Torah tsivah lanu Moshe, morashah kehilat Yaakov ». En français : « C’est une Loi que Moïse nous a ordonnée, héritage [morashah] pour la communauté de Jacob ». Il n’est pas indifférent que le premier mot hébraïque idéalement prononcé par l’enfant soit précisément Torah, laquelle inclut évidemment Tradition écrite et Tradition orale ; que le second soit tsivah (« a ordonné »), lequel souligne la dimension légale de la Révélation comme corpus des commandements (mitsvot) transmis par Dieu à son peuple ; et que le troisième soit lanu (« à nous », « pour nous »), lequel rappelle la fonction de ciment communautaire, de référent identitaire collectif inaliénable que cette Loi révélée assure pour « la communauté de Jacob ».

On n’est donc Juif que par intégration à un collectif : la « communauté de Jacob ». Ce collectif – le nous – est défini de deux manières différentes et combinées : par une généalogie (tous ses membres sont présumés descendre d’un ancêtre commun, Jacob) et un « héritage ». Cet « héritage » est de nature immatérielle, la Torah, ce qui ne l’empêche pas de façonner concrètement ce collectif dans la mesure exacte où il impose à chacun de ses membres des normes communes de comportement (les « commandements »). Cet « héritage » n’est pas, au sens strict, un héritage des ancêtres. Mais un héritage qui s’origine en Dieu, révélé sur le Sinaï, et seulement transmis depuis Moïse de génération en génération. Les premiers mots du même traité de la Mishnah que je viens de citer expriment on ne peut plus clairement la chose : « Moïse a reçu la Torah du Sinaï et l’a transmise à Josué ; puis Josué aux Anciens ; puis les Anciens aux Prophètes ; et les Prophètes l’ont transmise aux gens de la Grande Assemblée… » [2]  La question demeure bien sûr ouverte de la fructification de l’héritage. Nul n’imagine vraiment qu’il soit transmis sans changement d’une génération à l’autre, d’un maître à un autre. Il est même un midrash célèbre qui imagine Moïse assistant à la classe d’un maître du iie siècle, Rabbi Akiba, et se désolant de n’en pas comprendre un mot. À la fin de la leçon, pourtant, lorsque ses disciples demandent à Akiba d’où lui vient cet enseignement, celui-ci n’hésite pas à répondre qu’il lui vient… de Moïse. Plusieurs options restent donc ouvertes pour expliquer et justifier cette fructification de l’héritage. Elle peut être la simple actualisation des potentialités presque infinies d’un enseignement divin révélé initial et absolu. Mais elle peut aussi être l’effet d’une forme à définir de révélation continuée, ainsi que semble le suggérer un beau passage de la version B des Avot de-Rabbi Natan : « R. Éliézer était assis, exposant [doresh] plus de choses qu’il n’en avait été dites à Moïse sur le Sinaï, et son visage éclairait comme la lumière du soleil, ses rayons en sortaient comme les rayons [sortant du visage] de Moïse, et nul ne savait si l’on était le jour ou la nuit[3]. »

Une autre question essentielle ne sera jamais définitivement tranchée par le judaïsme rabbinique. Est-on Juif d’abord par le sang – comme descendant de Jacob ? Ou l’est-on principalement par l’adhésion à l’héritage, justement, à savoir à la Loi et à sa pratique – comme disciple de Moïse ? Et il y a de fait deux façons, au sein du judaïsme, d’être légalement reconnu comme juif : soit en vertu de sa naissance, soit par conversion. Les deux critères semblent donc cohabiter. Mais cette cohabitation est à la fois plus étroite et plus problématique qu’on ne l’imaginerait de prime abord. C’est bien sa soumission désintéressée au joug de la Loi qui fait du converti un Juif à part entière. La tradition rabbinique n’en sous-estime pas moins le risque que lui-même court comme « handicapé généalogique », dès lors que, n’étant pas un descendant charnel des Patriarches, il ne bénéficie peut-être pas des retombées positives d’un « héritage » très valorisé et réservé aux Juifs de naissance : le « mérite des pères ». Certains se demandent même s’il n’est pas lui-même embarrassé par un « héritage » pour le coup négatif, dès lors qu’il n’est peut-être pas lavé de la souillure du péché d’Ève, aucun de ses ancêtres charnels n’ayant été physiquement présents à la théophanie du Sinaï – laquelle seule, selon eux, aurait eu ce pouvoir purificateur[4]. Même si elle semble majoritaire, tous ne partagent donc pas sans réserve l’attitude d’un Moïse Maïmonide (1138-1204) pour qui l’intégration généalogique du converti ne pose aucun problème, dès lors qu’il est symboliquement réputé être fils du patriarche Abraham et de son épouse, Sarah, eux-mêmes premiers prosélytes, premiers ancêtres d’Israël et premiers convertisseurs de l’histoire hu­maine[5]. Et l’obsession du lignage ne disparaîtra jamais dans certains milieux, ashkénazes comme sépharades, et certains maîtres pourront clairement redouter l’intégration contaminante du prosélyte, lesté de son bagage impur, à la communauté d’Israël. Dans la première moitié du xiie siècle, pour un Judah Halévi, aucun prosélyte ne saurait jamais devenir « l’égal des Israélites de naissance, car ceux-ci [et seulement eux] sont spécialement aptes à la prophétie »[6]. Le même Halévi disait aussi : « … si le don de la Loi avait été une conséquence directe du fait que Dieu nous a créés, le Blanc et le Noir auraient été égaux par rapport à elle, puisqu’ils sont tous deux des créatures de Dieu. Tel n’est pas le cas. Dieu nous a donné Sa Loi parce qu’Il nous a fait sortir d’Égypte, et s’il s’est attaché à nous, c’est que nous sommes l’élite de l’humanité. »[7] Halévi disait enfin : « Comme au cœur, pur en son principe et en sa substance et équilibré en sa complexion, se joint l’âme intellective, ainsi Israël, pur en son principe et en sa substance, est digne de recevoir le divin. »[8] Il est donc une « complexion » du Juif de naissance, directement héritée de ses pères, à laquelle nul converti ne saurait prétendre, son adhésion à la Loi ne suffisant pas, pour quelques-uns au moins, à contrebalancer ce défaut d’héritage.

Pour le dire de manière un peu triviale, mais c’est une constatation de portée assez universelle, tout héritier n’est pas spontanément porté au partage, et il l’est certainement encore moins quand l’héritage en question n’est pas seulement ce qu’il a ce, mais ce qu’il est, ce qui le fait être ce qu’il est, ce qui le définit, ce qui le distingue, voire ce qui l’élève à ses propres yeux. Les rabbins ont toujours été attentifs à ce point : un héritage est toujours contestable, soit qu’un tiers juge que vous n’avez pas ou plus aucun droit sur lui et prétende le capter, soit qu’il nie la valeur même de ce dont vous vous glorifiez. Rashi (vers 1040 – 1105), avec d’autres, illustre assez bien le caractère crucial, pour les rabbins, de cette problématique. Pour lui comme pour la tradition rabbinique en général, la Bible n’est pas un récit, la Torah n’est pas une belle histoire. Mais bien la Loi révélée par Dieu à Israël et dont Israël a accepté de porter le joug. Il n’y avait donc, à cet égard, aucune raison pour qu’elle commence par le « commencement », par le début de l’histoire. Elle n’aurait pas dû commencer par Genèse 1, 1, mais par un autre verset : « Ce mois-ci est pour vous le commencement[9] des mois… » (Exode 12, 2). Pourquoi ? Parce que ce verset introduit la présentation du premier des commandements donnés à Israël comme peuple (le sacrifice de l’agneau pascal[10]). Là, pour le coup, est le vrai commencement. Le début de l’héritage qui distingue, qui sépare et qui élève. Pourquoi, en ce cas, avoir malgré tout commencé la Bible par le récit de la création du monde ? Pour intégrer, malgré tout, le récit particulier de l’histoire d’Israël à un récit universel, celui de l’histoire de ce monde et de l’histoire du genre humain ? Peut-être pas. Peut-être est-ce même tout le contraire. Dieu, nous dit Rashi, a peut-être seulement voulu rappeler aux Nations qu’étant le Créateur tout-puissant de ce monde, il peut librement en disposer, et que c’est par un effet de sa libre, souveraine et légitime volonté qu’il retirera aux peuples qui l’occupaient « au commencement » la Terre (Canaan) que de toute éternité il destinait à Israël, qui en est, de ce fait, le seul héritier légitime. Quand bien même il s’en trouverait temporairement spolié et exilé en sanction de ses fautes, jamais ses droits sur elle ne sauraient être remis en cause. Et il ne fait aucun doute qu’une fois ses fautes expiées et pardonnées, la « communauté de Jacob » rentrera en possession de cet inaliénable héritage. Je pourrais bien sûr m’étendre un peu plus sur la Terre comme héritage contesté. Qui en hérite ? Comment est-elle partagée ? Les pécheurs en héritent-ils eux aussi ? Les femmes ? Les prosélytes ? Je pourrais aussi m’aventurer sur le terrain plus dangereux des déclinaisons théologico-politiques contemporaines de cette thématique. Je préfère ne pas le faire, et ne voir là qu’une illustration parmi d’autres d’un principe constant : il n’est pas d’héritage qui ne soit contestable, il en est peu qui ne soient contestés. Le judaïsme rabbinique s’est même en grande partie construit contre certains des procès qui, sur ce plan, lui ont été intentés.

Premier exemple. Le christianisme. Qui est le « véritable Israël » ? Le peuple chrétien. Qui est le véritable légataire des promesses faites à Abraham ? Paul, dans l’Épître aux Galates, est fort clair sur ce point. Si c’est bien à Abra­ham et à sa descendance que les promesses ont été faites, « on ne dit pas : les descendants au pluriel, mais au singulier : la descendance, c’est-à-dire le Christ »[11]. À la généalogie charnelle, le christianisme oppose et substitue une généalogie spirituelle qui dépossède Israël de son nom même. Et qui le dépossède de la Bible elle-même. Traduite en grec (par les Juifs d’Alexandrie, il est vrai), traduite en latin, la Bible est devenue l’héritage des Nations. « Vos Écritures, écrit déjà Justin, ou plutôt non pas […] les vôtres, mais […] les nôtres : car par elles nous sommes convaincus, tandis que vous, vous les lisez, mais sans comprendre l’esprit qui est en elles.[12] » Non seulement elles ne distinguent plus Israël, elles ne le séparent plus, mais elles l’accusent. Israël reste certes le transmetteur authentique et fiable d’un héritage scripturaire qui, fondamentalement, aux yeux des théologiens chrétiens, atteste la vérité de la doctrine chrétienne. Les Juifs, ces précieux bibliothécaires, ces « gardiens de nos livres » comme les désigne Augustin, n’en saisissent pas le sens profond. « Ils ressemblent aux serviteurs qui, écrit-il, lorsque leurs maîtres s’en vont à la salle d’audience, les suivent en portant leurs dossiers et restent assis à la porte.[13] » Exhortés à ne pas oublier la Loi, et quoiqu’aveugles à son message ultime, les Juifs la portent donc en tout lieu où ils sont dispersés, et en tout lieu où l’Église est présente, à la fois comme preuve pour les Gentils et comme opprobre pour eux-mêmes.

À cette dépossession, le judaïsme répondra fort logiquement par la revendication de l’autre face de son héritage, la seule, désormais, qui puisse continuer à le distinguer, à le séparer et à l’élever. Et de la même façon que les Chrétiens soutiendront que le sens de l’Ancien Testament reste caché à celui qui n’en possède pas l’ultime clé de lecture – à savoir le Christ et l’Évangile –, les Juifs soutiendront désormais que le sens de la Tradition écrite échappe totalement à qui n’a pas hérité, comme eux, d’une Tradition orale d’origine non moins divine, et dont les enseignements ne sont accessibles qu’aux disciples fidèles de celui – Moïse – qui l’a reçue au Sinaï. L’héritage propre d’Israël n’est pas, n’est plus la Bible, dont les chrétiens se sont emparés, mais bien, désormais, le Talmud. Les chrétiens finiront par reconnaître cette spécificité irréductible des Juifs. Mais ils s’en saisiront contre eux, dénonçant alors la Tradition orale comme une hérésie, et accusant les Juifs d’avoir eux-mêmes trahi la lettre sacrée des enseignements de Moïse pour leur préférer ceux, purement humains et pervers, de leurs rabbins…

Car il est deux manières de contester l’héritage de l’Autre. Soit en se l’appropriant, ainsi que les chrétiens firent de la Bible. Soit en en niant la valeur et l’authenticité, ainsi que les mêmes finiront à faire du Talmud et de la Tradition orale dont il est le conservatoire. Ce second danger, celui de la négation, ne vint d’ailleurs pas, pour les Juifs, seulement de l’extérieur. Il rongea le judaïsme lui-même de l’intérieur. Je songe ici au karaïsme. Je ne retracerai pas en détail l’histoire de ce courant du judaïsme, minoritaire certes, mais – à ses débuts du moins – puissant, actif, perçu comme une menace majeure par les tenants de la norme rabbinique, et, à ce titre, âprement combattu par eux[14]. Caractérisé notamment par sa remise en cause de l’autorité de la Loi orale, et par sa valorisation extrême de la lettre des écrits sacrés, le karaïsme est né dans la Babylonie du viiie siècle de la cristallisation progressive de plusieurs courants juifs à un moment où l’effervescence religieuse, politique et économique de l’Orient musulman se doublait, à l’intérieur même du judaïsme perso-babylonien, de tensions socio-économiques et de conflits de pouvoir. La richesse, la diversité, voire les contradictions internes de son histoire pluriséculaire, en ses divers lieux d’implantation (Orient musulman, Afrique du Nord, Espagne médiévale, Byzance et Empire ottoman, Europe orientale), interdisent évidemment de le présenter sous les traits simplificateurs que ses adversaires ont souvent préféré lui donner. La nature du danger qu’il put représenter n’en demeure pas moins claire. En tentant de ruiner l’autorité de l’héritage singulier dont les rabbins se présentaient comme les uniques et légitimes récepteurs et transmetteurs (la Tradition orale), c’est le pouvoir même des rabbins sur la définition de l’identité collective et sur la détermination des normes de comportements qui la cristallisaient (la pratique concrète des commandements) que les penseurs karaïtes menaçaient.

La position de principe du karaïsme elle-même est cependant moins radicale que ne le laisse entendre une recommandation attribuée à son père putatif, Anan ben David (viiie siècle), et souvent reproduite : « Scrutez bien l’Écriture, et ne vous appuyez pas sur mon opinion. » Dans la pratique, les karaïtes ne se contenteront jamais d’une lecture exclusive, personnelle, littéraliste et non médiatisée du texte sacré, loin de là. Avec le temps, leur jurisprudence s’est en fait appuyée sur quatre éléments : le texte biblique, certes, mais aussi la dérivation par analogie de lois nouvelles à partir des prescriptions scripturaires, le consensus de la communauté, et… la tradition karaïte constituée elle-même – ce que les karaïtes eux-mêmes appelèrent, non sans une involontaire ironie, « sevel ha-yerushah ». En français :  le « fardeau de l’héritage ». Sic. Un karaïte byzantin comme Aaron ben Joseph le Médecin (vers 1250 – 1320) s’autorisera même très ouvertement à citer dans son commentaire du Pentateuque rien de moins que la Mishnah : « Car la plupart de [ces] sentences, dit-il, ont été dites par nos Pères. Et ce n’est pas l’ensemble que nous avons laissé, mais seulement ce que l’Écriture ne supporte pas, ce sur quoi il y a controverse, et ce qui contredit l’Écriture[15]. »

La boucle me semble ici parfaitement bouclée. Et je vais donc m’arrêter là. L’exploration – un peu sommaire et à visée simplement introductive – que j’ai tentée devant vous du judaïsme rabbinique et des rapports qui se nouent entre lui et le christianisme, d’une part, ainsi qu’entre lui et le karaïsme, cette exploration, dis-je, exhale un étrange parfum d’étude notariale. Il n’y est question que d’héritages. D’héritages que l’on revendique. D’héritages dont on est spolié ou que d’autres captent. D’héritages dont la valeur est purement et simplement niée. Et même de successions qu’on aimerait bien refuser sans toujours le pouvoir. Les karaïtes, à cet égard, ont au moins une vertu. Ils nous rappellent que tout héritage est aussi un fardeau…

[1] Mishnah, Avot 5, 21.

[2] Mishnah, Avot 1, 1.

[3] Avot de-Rabbi Natan, version B, chapitre 13. La traduction est mienne. Cette transfiguration de R. Éliézer répète celle de Moïse en Exode 34, 29-35 (sur la transfiguration – ou l’ensauvagement – de Moïse et sa signification, voir mon article « « Moïse ignorait que la peau de son visage était cornue. » Lectures d’Exode 34, 29-35 », dans Jean-Christophe Attias, Penser le judaïsme, Paris, CNRS Éditions, 2010, p. 157-183). Elle n’est évidemment pas non plus sans rappeler celle de Jésus telle qu’évoquée dans les Évangiles : « Six jours après, Jésus prend Pierre, Jacques et Jean, son frère, et les emmène sur une haute montagne, à l’écart. Et il fut transfiguré devant eux, sa face brilla comme le soleil, ses vêtements devinrent blancs comme la lumière. Et voilà qu’ils virent Moïse et Élie parler avec lui » (Matthieu 17, 1-3).

[4] Talmud de Babylone, Shabat 145b-146a. Comparer Talmud de Babylone, Yevamot 103b, Avoda Zara 22b et Shevuot 39a ; Pirkei de-Rabi Eliezer, XLI (en français : Chapitres de Rabbi Éliézer, traduit de l’hébreu et annoté par Marc-Alain Ouaknin et Éric Smilévitch, nouvelle édition revue et corrigée, Lagrasse, Verdier, 1992, p. 261-262) ; Zohar 91a (en français : Le Zohar, traduction, annotation et avant-propos par Charles Mopsik, Lagrasse, Verdier, 1981, p. 453-454).

[5] Voir Moïse Maïmonide, Responsa, éd. Jehoshua Blau, Jérusalem, Mekize Nirdamim, vol. II, 1960, Responsum n° 293, p. 548-550 (en hébreu).

[6] Juda Hallévi, Le Kuzari. Apologie de la religion méprisée, traduit du texte original arabe, confronté avec la version hébraïque, introduit et annoté par Charles Touati, Lagrasse, Verdier, s. d., 1, 115 (p. 39).

[7] Ibid., 1, 27 (p. 11).

[8] Ibid., 2, 44 (p. 66).

[9] En hébreu rosh, litt. « tête », mot construit sur la même racine que reshit.

[10] Préparation d’Israël à la dixième plaie appelée à frapper l’Égypte. Au moment de l’extermination des premiers-nés égyptiens, l’Ange de la mort épargna les premiers-nés des Hébreux en « enjambant » leurs maisons, marquées au sang de l’agneau sacrifié la veille. Le sacrifice de l’agneau pascal était répété chaque année au Temple de Jérusalem.

[11] Galates, 3, 16.

[12] Justin Martyr, Dialogue avec Tryphon, op. cit., 29, 2, p. 255. De même, ainsi que le rappelle Marcel Simon (« La Bible dans les premières controverses entre Juifs et chrétiens », dans Claude Mondésert [dir.], Le Monde grec ancien et la Bible, Paris, Beauchesne, 1984, p. 107-108), le Pseudo-Barnabé (4, 6-7) adjure ses lecteurs de ne pas « accumuler péché sur péché en répétant que le Testament est à la fois leur bien et le nôtre. Il est nôtre à la vérité, mais eux ils ont perdu pour jamais le testament reçu autrefois par Moïse ».

[13] Saint Augustin, Sermons sur l’Écriture 1-15A, traduction d’André Bouissou, introduction et notes de Goulven Madec, Paris, Institut d’études augustiniennes, 1994, Sermon 5, « Sur la lutte de Jacob avec l’Ange », p. 128.

[14] Je renverrai ici à l’introduction synthétique à l’histoire du karaïsme qu’offre le chapitre 4 de mon Penser le judaïsme, op. cit., p. 61-78.

[15] Aaron ben Joseph le Médecin, Sefer ha-Mivhar, Gozlow, 1834, Introduction, f° 9 r°. Sur cette réevaluation karaïte tardive de l’héritage rabbinique, voir Jean-Christophe Attias, Le Commentaire biblique. Mordekhai Komtino ou l’herméneutique du dialogue, Paris, Cerf, 1990, p. 42-43. Si, pour le judaïsme normatif, la Loi orale tient sa sainteté de son origine en dernier recours divine (et sinaïtique), pour le karaïsme la sainteté du « fardeau de l’héritage » tient à celle des hommes qui l’ont porté (Michael Corinaldi, « Karaite Halakhah », dans N.S. Hecht, B.S. Jackson, S.M. Passamaneck, D. Rattelli, A.M. Rabello (dir.), An Introduction to the History and Sources of Jewish Law, Oxford, Oxford University Press, 1996, p. 254).