Recension: « Le chemin de foi de Jean-Christophe Attias » (Libération, 21 septembre 2017)
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Libération FoiL’historien et philosophe livre le récit aussi jubilatoire que grave de sa conversion au judaïsme.

Comment devient-on juif ? La question peut paraître saugrenue, voire provocante en ces temps troublés où la religion est redevenue un sujet polémique suscitant la haine et le rejet de l’autre. Sous la plume de Jean-Christophe Attias, elle force au contraire la réflexion et, mieux que ça, la compréhension de ce que peut être le long cheminement qui mène à la foi, en l’occurrence au judaïsme. Le point de départ : ce spécialiste éminent du judaïsme, consacré en 2015 par le Goncourt de la biographie pour Moïse fragile, est né d’une mère catholique et d’un père juif d’Algérie. Lui-même n’est pas juif puisque c’est la mère qui détermine l’identité juive de l’enfant. Il est même baptisé.ps songé, me suis-je laissé dire, à une conversion au christianisme. La découverte de l’Holocauste l’aurait finalement dissuadé de sauter ce pas, ce qui fait de mon père une figure improbable mais attachante, une sorte de Bergson algérien», écrit Attias. Rien ne prédestine donc le jeune Jean-Christophe à devenir juif, encore moins son prénom qui est un prénom chrétien (en grec, il signifie «celui qui porte le Christ»). Et pourtant, à 20 ans, il décide de se convertir au judaïsme. Et pas n’importe lequel : le judaïsme orthodoxe.

La façon dont Attias raconte comment il a annoncé cette décision à ses parents, un soir d’automne lors d’un week-end en famille, est à mourir de rire ; elle fera sans doute frémir les purs et durs. «Ma mère me servit un plat que j’aimais plutôt bien : du boudin noir. Ce qu’on peut faire de pire en matière de diététique juive, non seulement du porc, mais en plus du sang. C’est donc en lorgnant cette assiette-là que j’ai annoncé à mes parents que j’avais décidé de me faire juif, qui plus est orthodoxe, effet vraisemblable de ma nature perfectionniste. […] Ma mère, considérant l’incongruité de la situation, m’a seulement dit : « Tu veux peut-être que je te serve autre chose ? » A quoi j’ai répondu non, terminant mon boudin sans la moindre hésitation. Et sans aucun sentiment de culpabilité : je n’étais pas encore juif et ne commettais donc aucun péché. Cela n’en fut pas moins pour longtemps mon dernier plat de porc.» C’est là le bonheur procuré par la lecture de ce livre. Les sujets liés à la religion, qu’ils soient intimes ou philosophiques, sont souvent empreints de gravité. Le récit d’Attias est bourré d’humour et d’autodérision, un régal.

«Confusion». L’auteur avance une explication à sa décision de se convertir : une sœur aînée mort-née, donc non baptisée. «Personne, si ce n’est la mort, n’avait eu le temps de choisir à sa place. Et elle-même, dans ses limbes, serait à jamais empêchée de choisir quoi que ce fût. Ni sauvée, ni damnée. Ni juive, ni chrétienne, ni rien du tout, pour toujours. Encore que le modeste monument funéraire qui surplombe sa petite tombe dise tout à fait autre chose. […] Il s’agit d’une croix et d’une étoile à six branches entrelacées. Comme si la petite morte enterrée là était, cette fois, juive et chrétienne à la fois.» Dans l’esprit tourmenté du jeune Attias, se forme peu à peu ce constat : ne pas choisir, c’est mourir. Jusqu’au jour où il découvre que ses parents avaient appelé sa sœur non pas Sonia, comme il l’avait toujours cru, mais Siona, le féminin de Sion, un prénom hébraïque. «Le résultat des courses était d’une étonnante confusion, écrit-il. Une fille, peut-être juive, mais morte, et que la mort avait à jamais libérée du devoir de choisir. Deux fils vivants, piégés à vie par un baptême qu’on leur avait imposé […]. Je choisis de tuer le baptisé en moi. Et d’être un juif vivant.»

Autre révélation : l’hébreu, appris avec son père, figure marquante de ce livre. «Le jour où j’ai découvert mon premier alef [première lettre de l’alphabet hébreu, ndlr], il faut croire que mon sort était scellé, que ce premier alef n’était que la première lettre du premier mot de cette longue phrase encore inachevée qu’est ma vie même. Ma vie de juif», écrit-il. La suite est émouvante et drôle. Les fidèles de la rue Georges-Berger, la circoncision, le bain rituel, le shabbat chez Judith, le voyage en Israël, l’enfermement communautaire… Jusqu’à aboutir à ce constat, au bout de cinq ans de pratique religieuse rigoureuse : «Dieu n’existe pas.»

Commandement. «Certains ont fait courir le bruit que Dieu nous avait choisis. C’est plutôt l’inverse, note Attias. Nous ne sommes pas là pour témoigner de son existence. Mais pour le faire exister. Et ça n’est pas facile tous les jours. Je ne suis pas devenu juif parce que Dieu s’est révélé à moi. Je ne suis pas devenu juif parce que je croyais en Dieu. Je suis devenu juif pour y croire. […] J’ai prié, trois fois par jour, pendant des années, seul ou en communauté, et je n’ai jamais su si celui auquel je m’adressais existait. Je ne le sais toujours pas. Ce qui a changé entre hier et aujourd’hui, je l’ai dit, est qu’aujourd’hui je ne prie plus, ou presque plus. Et que Dieu, en conséquence, n’existe plus, ou presque plus.» Une femme, Esther Benbassa, chercheuse d’origine juive stambouliote et athée, devenue sénatrice, va l’aider à trouver «le chemin d’un autre judaïsme. Un judaïsme d’engagement, mais aussi et surtout de liberté et de voyage».

Ce livre est aussi une magnifique déclaration d’amour à celle qui partage sa vie et ses écrits. «Esther a sauvé mon judaïsme. Elle l’a sauvé du confinement où il menaçait de s’étioler. Je m’en étais fait tout un monde et de la Loi je m’étais fait une frontière. Or il n’est de pire ennemi du juif que le ghetto, jusques et y compris quand ce ghetto est confortable.» Puisqu’il y est, Attias ne cache rien des sentiments ambivalents que lui inspire Israël, un pays où il se rend chaque année pour honorer quelques tombes et de nombreux vivants, un pays aussi «où des juifs brûlent vive une famille palestinienne pour la seule et unique raison qu’elle est palestinienne».

Et pour finir, ce commandement qu’il rappelle à ses «amis sionistes», qui ne vient pas des 613 mitsvot de la Loi mais de l’héritage de l’histoire : « »Tu aimeras le réfugié comme toi-même, parce que vous-mêmes avez été des réfugiés. » Le réfugié, oui. Tu l’aimeras comme toi-même. Fût-il palestinien et musulman.»

Alexandra Schwartzbrod Jean-Christophe Attias Un juif de mauvaise foi JC Lattès, 406 pp., 20,90 €.

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